Heberto Padilla, hors-jeu

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C'est dans Avant la nuit, l'autobiographie de Reinaldo Arenas que je découvre l'histoire d'Heberto Padilla. La triste histoire d'un dissident à La Havane : «..., j'ai vu au pied des grands arbres Heberto Padilla qui marchait sur le trottoir ; blanc, trappu et désemparé, c'était l'image de la destruction. Lui aussi, ils avaient réussi à le «réhabiliter». Maintenant, il se promenait sous ces arbres tel un fantôme.» (R. Arenas, Avant la nuit, p.311)

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Archives : Un article de Philippe Lançon, paru dans Libération à la mort du poète.

 

«Sortez-le le poète!

Il n'a que faire ici.

Il ne joue pas le jeu.

Il n'a pas d'enthousiasme.

Il ne délivre pas clairement son message.

Il ne remarque pas les mêmes miracles.»

 

Si une oeuvre d'Heberto Padilla, poète cubain mort lundi en Alabama, à 68 ans, a marqué la pénible histoire des rapports entre la littérature et le pouvoir, c'est bien ce livre, Hors-jeu (Seuil, épuisé), publié en 1968 à La Havane: il révéla au monde intellectuel le tournant dictatorial que le castrisme avait pris.

 

Le 22 octobre de cette année-là, le prix Julian del Casal de l'Uneac, la prestigieuse Union des écrivains, le couronne à l'unanimité. Le grand écrivain José Lezama Lima est dans le jury. L'auteur a 36 ans. Il chante amèrement, avec une ironique agressivité, tous les dangers qui guettent le poète: «N'oublie pas, poète, en quelque lieu, à quelque époque, que tu fasses ou subisses l'Histoire, toujours un poème dangereux te guettera.»

Le Che est mort l'année précédente. Fidel Castro règne seul, et les censeurs se sont installés. Padilla publie tout haut ce que beaucoup pensent tout bas dans l'île, mais que la plupart des intellectuels étrangers refusent de voir: le durcissement politico-idéologique d'un régime qui prétend mettre les écrivains au service du pouvoir castriste; ce que beaucoup font avec une admirable ­ et compréhensible ­ servilité. Le couronnement de Hors-jeu provoque la rage de ces censeurs. L'Uneac se réunit pour dénoncer cet ouvrage «contre-révolutionnaire et antisoviétique». Mais les jurés résistent, défendent leur choix.

 

Autocritique. «Padilla était alors, a écrit le Cubain Reinaldo Arenas, le héros de notre génération.» Il va le payer cher. Le livre, publié avec une préface de protestation de l'Uneac, devient vite introuvable. Dès lors, Padilla est marginalisé, harcelé. En 1971, il est arrêté avec sa femme pendant un mois. On le bat, on le menace. Une carte demandant au «cher Fidel» sa libération est envoyée par quelques intellectuels étrangers: Sartre et Beauvoir, Italo Calvino, Mandiargues, Moravia, Octavio Paz... Libéré, le poète dénonce, au cours d'une séance publique de triste mémoire à laquelle sont conviés la plupart des intellectuels cubains, tout ce qu'il avait ­ à juste titre ­ écrit. Cette épreuve infamante le brise et humilie au passage ceux qui l'écoutent, en leur rappelant la stalinienne règle du jeu. «Non seulement il désavoua toute son oeuvre antérieure, écrit Arenas, mais encore il dénonça ses amis, épouse comprise, qui, selon lui, avaient eu une attitude contre-révolutionnaire.»

 

Certains intellectuels étrangers se réveillent tout à fait. Nathalie Sarraute, Susan Sontag, Octavio Paz dénoncent le procédé. L'«affaire Padilla» est une étape clé dans le deuil des illusions sur le régime cubain. Neuf ans plus tard, le poète aux ailes coupées est autorisé a quitter le pays pour les Etats-Unis: c'est un fantôme qui se survit. Il a raconté ses souvenirs dans la Mauvaise Mémoire (Lieu commun).

Libération, 28/09/2000 

Publié dans Heberto Padilla

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